Arts&MétiersMag - N°433 - Février 2022 - 48

CONFÉRENCES & DÉBATS BILLET D'HUMEUR
ENTRE NATION
ET INDIVIDUALISME
L
'enfer est pavé de bonnes intentions. Il faudrait
toujours se le rappeler en écoutant ceux qui veulent
faire le bonheur des autres malgré eux. L'ère communiste
a tenté de prendre le contrôle des consciences,
étouffant toute initiative et critique, pour ne parvenir
qu'à niveler vers le bas la condition du plus grand nombre
tout en assurant un train de vie occidental à ses apparatchiks.
Contrer ces derniers équivalait à braver une dialectique
infernale toujours à l'œuvre dans les dernières dictatures
dites populaires : le peuple étant réputé au pouvoir, toute
critique du régime fait nécessairement de son auteur un
ennemi du peuple. On sait où ce genre de dialectique mène :
au goulag ou à la mort.
La Révolution française et la Commune sont deux autres
exemples d'idéaux qui portaient en germe le danger de la
dictature imposée par quelques-uns au nom d'un prétendu
pouvoir du plus grand nombre. Le processus est toujours
le même : une révolte du peuple permet dans un premier
temps d'écarter un autocratisme, puis, l'euphorie passée, le
vide laissé donne lieu à une période erratique pendant laquelle
les révolutionnaires peinent à bâtir une démocratie
ex nihilo. Le chaos s'ensuit, occasion saisie par une minorité
agissante aux idées expéditives, qui prend la main et
impose sa vision à la majorité.
MAJORITÉ EN PANTOUFLES
Si le mal a quelques chances de s'installer là où une minorité
bruyante assume la violence, il a toutes les chances de
s'installer là où une majorité silencieuse reste en pantoufles.
Il semble que nous ayons oublié le pouvoir de la force assumée
par quelques-uns. Pourtant, nous ne sommes pas à
l'abri. Des minorités font du bruit et tentent d'imposer leur
point de vue en instillant la peur, au milieu du laisser-faire
des institutions et du silence de la population. Ces phénomènes
sont maintenant suffisamment visibles pour être
combattus ou, au moins, identifiés. Quand l'indignation
dépasse la lâcheté, la prise de conscience accouche souvent
de mesures molles, sans réel danger pour les activistes qui
ont toujours un métro d'avance. C'est que la démocratie ne
peut ni ne veut utiliser les armes utilisées par ses ennemis
Une révolte du peuple permet dans un premier
temps d'écarter un autocratisme, puis, l'euphorie
passée, le vide laissé donne lieu à une période
erratique pendant laquelle les révolutionnaires
peinent à bâtir une démocratie ex nihilo.
48 Arts&MétiersMAG
N°433 / février 2022
- en tout cas pas ouvertement. Le
dernier exemple le plus frappant
pour les esprits a été l'assassinat
du professeur Samuel Paty, programmé
sur les réseaux sociaux,
exécuté en pleine rue. Il faudra du
temps et, peut-être, d'autres attaques
pour réagir avec la force et
la célérité nécessaires. Mais ne
désespérons pas de l'avenir, et gageons
que ces minorités violentes
seront vaincues.
IMMORTELS DANS UNE
DÉMOCRATIE ÉTERNELLE
Un autre danger existe, plus insidieux,
qui touche à l'évolution de
nos sociétés et que la Covid a mis
en exergue. Il transparaît au travers
de notre attitude collective. Nous
sommes placés face au même dilemme
: d'un côté, la protection
pour tous et son possible corollaire,
l'entrisme de l'État dans nos
vies ; de l'autre, la responsabilisation
et la liberté individuelles, qui
libèrent l'énergie mais peuvent
détourner le citoyen de l'intérêt
général et autorise des «pertes»
dans le corps de la nation. Entre
ces deux extrêmes, nos vies balancent, à la recherche de
l'équilibre mais secouées lors d'une crise nationale d'importance.
Les historiens sauront sans doute un jour mieux expliquer
les mécanismes presque toujours fondés sur l'ignorance
et sa cousine, la peur, qui ont conduit des gouvernants
à décider de mettre des économies entières sous cloche.
Je ne prétends pas qu'un des plateaux de ce dilemme est
fondamentalement meilleur que l'autre et nous ne faisons
pas face à une révolution bolchevique. Mais nos mentalités
semblent enclines à regarder du côté du premier. Cela peut
s'expliquer par des décennies de paix et de prospérité.
L'accélération exponentielle des progrès techniques a bâti
puis entretenu l'illusion que tous les biens et services sont
à notre disposition et à proximité, à un clic de souris. Étant
entendu qu'un système de santé performant veille sur nous,
que notre dissuasion nucléaire éloigne tout risque d'attaque
de notre nation, que les disettes et les coups d'État n'existent
PHOTO ADOBESTOCK
Arts&MétiersMag - N°433 - Février 2022

Table des matières de la publication Arts&MétiersMag - N°433 - Février 2022
